Artistes
Lundi 21 Septembre 2020


Expo de Belly, illustratrice, à Saint-Paul: non à la domination des hommes sur les femmes!



Belly, c'est son nom d'artiste, est auteure et illustratrice. Son expo intitulé "L'origine du monde" est visible à Léspas Culturel Leconte de Lisle à Saint-Paul jusqu'au mardi 29 septembre, sur rendez-vous, épidémie oblige. Le message véhiculé par l'artiste au travers de 33 portraits est à son image, ça vaut le détour...



Belly, une illustratrice atypique à découvrir
Nous avions rencontré Belly en décembre 2019 à Saint-Pierre à l'occasion de sa première expo au Point G, et nous avions déjà été séduits par le thème de "L'origine du monde", à savoir l'inacceptable domination masculine sur les femmes, les inégalités entre les genres, et le sexisme (article à lire sur https://www.exclusif.re/Exposition-L-origine-du-monde-vu-par-Belly-qui-milite-contre-les-feminicides_a958.html).

Avant d'en venir à l'expo proprement dite, il est intéressant de découvrir le parcours de l'artiste, ceci expliquant sans doute cela.

Passionnée de dessins...

Belly
est née à Saint-Paul où résident ses parents. "Mon père lisait beaucoup de BD et je me suis passionnée pour les auteurs, j'étais donc déjà intéressée par le dessin. Mais on m'a déconseillé de m'orienter dans la bande dessinée, secteur non rentable m'a-t-on dit, ce qui n'est pas faux finalement".

Après des études d'arts appliqués au Lycée Ambroise Vollard (Saint-Pierre), la jeune fille s'inscrit à l'Ecole des Beaux Arts du Port, "où je ne me sentais pas à ma place" dit-elle. "Après une année là-bas, je suis partie à Bruxelles sur un coup de tête. J'ai réussi le concours ERG (Ecole de Recherches Graphiques), j'ai eu mon diplôme Illustration et Bande Dessinée. J'ai aussi obtenu un Master en Narration Spéculative, et comme Bruxelles est la capitale de la BD, je suis restée 5 ans sur place".  

Belly travaille alors comme storyboardeuse et scénariste pour un groupe appelé Les Directors, composé de réalisateurs réunionnais vivant à Paris, "mes mentors" précise-t-elle, elle se spécialise dans la publicité sportive et l'écriture de scénarios... 

Il faut savoir également que Belly a déjà écrit un livre "Chiens noirs", traitant du viol et de son impact traumatique, et une BD érotique "Le Souvenir de Druuna" qui parle des agressions envers les femmes.

Les femmes au pouvoir, c'est ce que préconise Belly

Atelier dessin et préparation de l'expo

Pour des raisons familiales, Belly est rentrée à La Réunion en 2018 et s'installe en tant qu'auto-entrepreneuse: "Je n'avais jamais appris à gérer une entreprise, je ne savais même pas évaluer la valeur d'un tableau, j'ai appris". 

La jolie Belly devient alors professeure storyboard à l'ILOI (Institut de L'image de l'Océan Indien) du Port, "une belle expérience" dit-elle. Puis, afin de financer ses projets, elle créé un atelier dessin, donnant des cours dans un studio danse de Saint-Gilles (Danse Enkor Studio) et dans un magasin d'art du Port (Arts et Toiles). "Monter une expo coûte très cher, c'est un gouffre financier" dit Belly qui a mis un an pour préparer "L'origine du monde"

L'artiste confie avoir travaillé très dur: "Tout en continuant à donner des cours, je faisais mes dessins, j'ai travaillé tous les jours, pas de week-end, pas de vacances, de 8h le matin à très tard la nuit. Plusieurs fois je terminais à 4h du mat' et lendemain j'étais l'ombre de moi-même... Il fallait non seulement dessiner mais aussi rédiger les textes. J'étais littéralement épuisée..."   



 

La nudité fait partie de l'univers de cette expo

Le résultat est à la hauteur de ses ambitions et la première exposition au Point G, atelier tenu par Alain Gernigon à Saint-Pierre, a été un succès: "Il m'avait prêté sa maison, je dormais sur place, je faisais tout en même temps, j'étais très contente de pouvoir préparer mon expo".

Mais pas de bol, le jour du vernissage en novembre 2019, les Gilets Jaunes bloquaient partout: "Je n'ai pas voulu reporter, et comme par miracle, quelques heures avant le vernissage, les blocages étaient levés. Et cette fois pour Saint-Paul, c'est la Covid-19 qui a empêché le vernissage... Alain Courbis, le directeur de Léspas, était venu voir mon expo à Saint-Pierre et il m'avait invité pour ce mois de septembre 2020. Je pourrai dire que cette expo a traversé des situations imprévisibles!"

 

Belly -qui signifie ventre- est un surnom qui lui a été donné par un ancien compagnon, un surnom qui va bien à cette jolie femme!
"Un profond sentiment de handicap..."

Belly nous raconte une anecdote qui l'a à la fois perturbée et construite: "A Vollard un jour, un professeur qui avait 40 ans et qui donnait des cours de dessin technique complexe, doté d'une belle éloquence et de son statut de sachant, nous a demandé de citer une femme qui a marqué l'histoire.

Une élève a répondu Marie Curie, et il a dit: "Sans son mari, elle ne serait personne"; une autre a cité Jeanne d'Arc, et il a rétorqué: "Si on ne l'avait pas brûlée, on ne l'aurait jamais connue"... La femme en tant que femme n'était pas reconnue. Ce prof m'avait donné toutes mes bases et quand je suis sortie du cours, j'ai ressenti un sentiment profond de handicap qui m'a poursuivi de mes 14 ans à mes 23 ans.   

Je dévisageais les garçons, non par attirance mais en me disant qu'ils vont être les meilleurs. Je ne conscientisais pas, il y avait une banalisation du système, les hommes étant naturellement plus forts que les femmes... A l'ERG, on avait beaucoup de cours théoriques de sociologie et d'anthropologie sur le thème des genres. On parlait virilité, codifications depuis l'enfance, métiers masculins et féminins, couleurs pour les filles et pour les garçons,... Je suis alors devenue plus critique et j'ai entamé un processus de déconstruction du système afin de m'opposer aux situations inégalitaires".

 

 

Chaque oeuvre est accompagnée d'un texte explicatif...
Dire non à l'oppression

Belly nous explique que pour oppresser un groupe, en l'occurrence les femmes, il y a plusieurs facteurs qui peuvent entrer en jeu:
- retirer des droits
- retirer l'accès à l'économie et à la finance afin de créer une dépendance vis-à-vis des hommes
- retirer l'autonomie pour éviter que la femme ne se déplace
- interdire certains métiers aux femmes
- retirer l'accès à l'éducation et au savoir, donc retrait de la capacité d'analyse
- diviser les groupes pour créer des guerres

"A force de répéter tout le temps les mêmes choses sur la domination des hommes, on finit par y croire... La femme est brisée, elle n'a plus l'estime d'elle-même, et alors le racisme, le spécisme, le sexisme, le gentrisme perdurent, et on ne compte plus les féminicides. Pire, les stéréotypes des genres dans la culture occidentale contemporaine se transmettent de génération en génération...

Mon expo met des femmes à la place des hommes. Les hommes, artistes, politiques, décideurs,... ont été érigés en icônes et on a oublié la violence dont ils ont fait preuve. Dans la mythologie grecque par exemple, beaucoup de déesses ont été violées par des hommes, et elles étaient même punies pour avoir été violées! Les héros et héroïnes sont en majorité de couleur blanche et des stéréotypes continuent à sévir concernant la communauté noire. On inculque aux femmes qu'elles sont là pour enfanter avant tout..." 


 

La féminité à l'honneur avec Belly
"Je n'appelle pas pour autant à la maltraitance des hommes loin s'en faut, mon exposition a pour objectif de donner des outils pour réfléchir et empêcher les nouveaux oppresseurs d'agir. C'est toute la structure du monde qu'il faut changer. Et ça passe par l'éducation avant tout. Il faut parler, ne pas se taire, les femmes doivent avoir le choix. Mes personnages abordent toutes ces problématiques. 

Si Simone Veil était un homme (Simon Veil dans l'expo)? Si Che Guevarra, Pablo Picasso, Rocco Siffredi, le pape, et j'en passe, étaient tous des femmes? Si Eve avait refusé d'enfanter? Si Dieu était une femme, qui plus est noire?... telles sont les questions posées par Belly dans ses tableaux. 


 

Simon Veil est l'un des deux hommes de l'expo, il mène un combat pour l’émancipation des hommes !
"L'origine du monde" est divisée en deux parties, une sur l'Histoire, l'autre sur les Croyances et religions, une expo interdite aux moins de 16 ans. Car la sexualité est omniprésente dans les tableaux de Belly: "Le corps de la femme est l'outil principal de l'oppression" dit-elle, "il sert pour la maternité et pour le plaisir des hommes. Le corps de la femme fait toujours débat, c'est un outil politique. Dans la partie Histoire, les corps sont habillés, dans la partie Croyances, ils sont nus..." 

Belly est une artiste atypique et surprenante, et on passerait des heures à échanger avec elle sur ces sujets sensibles, mais on l'aura compris, la femme qu'elle est devenue, après avoir subi une certaine oppression dans sa prime jeunesse, entend se battre contre les préjugés, les intolérances, les inégalités hommes-femmes et les droits des femmes. Du côté d'Exclusif Réunion, on valide! 

Aziz Patel

Expo à voir à Léspas Culturel Leconte de Lisle à Saint-Paul jusqu'au 29 septembre
Il faut prendre rendez-vous (tél: 
0262 59 39 66)

Belly ne vend pas ses tableaux afin de ne pas dénaturer l'expo, en revanche des impressions fournies par un photographe peuvent être achetées à 130 euros. 

Il y a 33 tableaux à découvrir...

Belly vous attend à Léspas Leconte de Lisle en centre ville de Saint-Paul


Aziz Patel
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