Dimanche 28 Juillet 2024


Le bien triste état de la presse quotidienne papier à La Réunion





La semaine dernière, de jeudi à dimanche, aucun des deux quotidiens locaux n'est paru... un bien triste constat

En ce mois de juillet 2024 force est de constater que le paysage de la presse papier, et plus particulièrement de la presse quotidienne réunionnaise, est juste inquiétant pour ne pas dire dramatique. Plus de JIR depuis quelques semaines, et plus de Quotidien depuis ce jeudi 25 juillet. Les turfistes sont orphelins, les amateurs d'horoscope et d'infos pratiques sont perdus, et les lecteurs avides d'infos sur papier désemparés...

Pour les deux titres historiques de la presse quotidienne, les raisons ne sont pas tout à fait identiques quand bien même les causes de cette "disparition" remontent à plusieurs mois, voire quelques années. Les deux journaux étaient imprimés par la société du groupe Chane Ki Chune, cette dernière ayant liquidé son activité, il ne reste plus désormais qu'une seule imprimerie locale susceptible d'absorber un tel travail, à savoir ICP Roto (Alfred Chane-Pane) du Port.

Le JIR connaît des difficultés depuis plusieurs années mais était toujours parvenu à remonter la pente. Plus récemment, malgré tous les efforts faits, les difficultés sont devenues plus persistantes, et un dernier rendez-vous judiciaire est prévu pour ce mercredi 31 juillet.

En attendant, le JIR continuait malgré tout à paraître, mais l'arrêt de l'imprimerie CKC a porté un coup quasiment fatal au journal, ICP Roto refusant de l'imprimer suite à un conflit latent qui existe depuis quelque temps entre les deux dirigeants des sociétés. Sans solution immédiate, le JIR ne paraît plus en papier mais uniquement sur le net, via Clicanoo, ce qui constitue un énorme manque à gagner.

Le Quotidien de La Réunion a été repris fin mai par la société Média Capital Réunion (Jean-Jacques Dijoux et Henri Nijdam) qui a revu les ambitions du journal à la baisse, diminuant le nombre de pages (à 24 pages en moyenne), arrêtant l'édition du dimanche, et réduisant le tirage. Quand Carole Chane Ki Chune annonçait 18 000 exemplaires, les nouveaux patrons ont réduit le tirage à 12 000 exemplaires, ce qui correspond mieux à la demande du public -et encore.

Précisons que dès la reprise du titre, Média Capital Réunion avait annoncé le développement du journal en numérique avec ce slogan "Digital first", ce qui préfigurait inéluctablement la baisse du papier. Mais le digital ne rapporte pas, pour l'instant, suffisamment d'argent pour survivre...

Le rachat du Quotidien par Média Capital Réunion n'était pas ce qu'avait envisagé Carole Chane-Ki-Chune, qui aurait préféré l'autre prétendant à la reprise, à savoir ICP Roto et ses associés. La nouvelle équipe a donc fait les frais de cette déception de CKC avec quelques déboires: accès à certains bureaux des locaux du Quotidien au Chaudron interdits, règlements de l'impression en avance,... et déménagement il y a peu du côté du Petit Marché de Saint-Denis.

Média Capital Réunion avait pu négocier l'impression du Quotidien par ICP Roto, avec aussi règlements en avance, et jusqu'à la semaine dernière, hormis quelques jours de non-sortie pour x raisons, Le Quotidien était dans les kiosques. Depuis ce jeudi 25 juillet plus rien, et Jean-Jacques Dijoux, le président de la société, nous a expliqué le problème: "D'abord il y a eu un problème technique d'édition à la suite du déménagement, ensuite il y a un désaccord sur les rythmes d'encaissement au profit du Quotidien et de décaissements au profit de la société de distribution (NDLR: Run Presse du groupe Chane-Ki-Chune). Tout ceci devrait rentrer dans l'ordre sous 48 heures" nous a assuré Jean-Jacques Dijoux.

Le Quotidien va donc être à nouveau dans les kiosques dans les jours à venir, mais toujours est-il qu'un risque de non-impression ou de non-distribution va désormais exister, ce qui n'est pas de nature à rassurer annonceurs et lecteurs.

Pour le JIR, qui aurait de nouveaux investisseurs, on en saura plus ce mercredi, et on espère une bonne issue pour les salariés de l'entreprise, mais il est certain que pour les deux titres le paysage médiatique a changé: beaucoup moins de publicités et d'acheteurs, internet et ses réseaux ayant changé radicalement le mode de consommation des infos et du reste.

Le modèle économique n'est plus ce qu'il était il y a encore une dizaine d'années. L'âge d'or de la presse papier, c'était depuis le début des années 80 jusqu'aux années 2012-2014, ensuite ce fut le début des problèmes pour tous les titres. Aujourd'hui on peut mettre régulièrement de l'argent dans une entreprise de presse, cela lui permet de tenir quelques mois ou plus, mais sans un changement radical de paradigme, l'argent finira à nouveau par manquer...

La meilleure solution pour les deux titres ou pour l'un des deux serait d'avoir sa propre imprimerie et son propre service de distribution pour ne dépendre de personne, mais voilà ça coûte bonbon et le retour sur investissement n'est pas assuré. Comme en plus, les quotidiens locaux ne bénéficient pas des subventions nationales du secteur, la planche de salut reste glissante.

Mais ces péripéties étaient déjà prévisibles, les observateurs avertis n'arrêtaient pas de dire que le petit marché local ne pouvait pas se permettre d'avoir deux quotidiens. Le présent leur donne raison. Néanmoins, pour le pluralisme et la libre expression, il semble nécessaire d'avoir aujourd'hui au moins un quotidien régional fiable et de qualité à La Réunion.

D'une manière générale, la presse papier est en déclin, que ce soit à La Réunion ou en métropole, c'est une évidence. Seule une certaine presse spécialisée (people, féminin, auto, sports, économie,...) parvient encore à s'en sortir, mais cette presse a aussi investi dans le digital pour compenser la diminution progressive des ventes.

Dans le même registre, quand on voit un hebdomadaire local annoncer sans rire un tirage de 20 000 exemplaires ou un mensuel un tirage à 10 000 ou 15 000, il faut être crédule et bien naïf pour croire ces chiffres surréalistes. Soyons fou, pourquoi pas se vanter de tirer 40 000 exemplaires tant qu'on y est?

Soyons sérieux, payer l'impression de 20 000 exemplaires chaque semaine ou 15 000 tous les mois, cela coûterait une somme astronomique -imprimés par ICP Roto qui ne fait pas de cadeaux, ou par des imprimeurs mauriciens- que ne pourraient absolument pas couvrir les recettes ventes et publicitaires au vu des frais engendrés.

Le Quotidien de La Réunion valide la véracité de son tirage via l'APCM (Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias) qui certifie le tirage, mais aucune autre presse locale n'est affiliée à cet organisme. L'imprimeur pourrait aussi donner les vrais chiffres des tirages mais il est lié par "le secret professionnel". Mais les employés des imprimeries parlent...

Et le marché réunionnais reste limité. J'ai été journaliste, rédacteur en chef et directeur de publication de plusieurs hebdos pendant une trentaine d'années, et aujourd'hui sur le digital avec Exclusif.re, j'ai connu les très belles années de la presse papier, suivies de son déclin progressif, je sais de quoi je parle. 

Ce survol du panorama de la presse papier locale permettra, je l'espère, de comprendre l'évolution du marché. Le constat est hélas triste pour celles et ceux qui, comme moi, ont toujours vécu avec deux quotidiens locaux. Aujourd'hui on n'a hélas plus forcément besoin d'acheter un journal pour s'informer, ni un hebdo télé pour avoir les programmes de ses chaînes préférées, car tout se trouve sur le net et sur son smartphone, outil devenu indispensable.

L'ancienne génération qui avait absolument besoin de son journal papier disparaît au fil des ans, et les jeunes maîtrisent à la perfection le digital pour une recherche rapide et immédiate des infos, même s'il s'agit de filtrer les fake-news.

On peut regretter l'ancien temps en répétant à l'envi "c'était mieux avant", toujours est-il que personne ne pourra lutter contre la transformation de la société à tous les niveaux, et à l'avenir l'intelligence artificielle va, à son tour, devenir le nouvel et redoutable ami ou ennemi -c'est selon- de la génération Z. Qui vivra verra.

Aziz Patel



 


Aziz Patel
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