Le Préfet Jérôme Filippini: "C'est un arrachement de quitter La Réunion"...

Il aurait aimé rester un an de plus, ça fait partie du métier, a-t-il confié. Les mouvements préfectoraux se décident au plus haut niveau de l'Etat, Jérôme Filippini a appris sa nomination il y a 10 jours, il va donc s'envoler vers la métropole la semaine prochaine avant de regagner la Corse où il déposera une gerbe au Monument aux Morts d'Ajaccio lundi 29 octobre pour acter sa prise de fonction.


Son ou sa successeur(e) à La Réunion, nommé.e par le président de la République Emmanuel Macron, sera connu.e certainement cette semaine après le Conseil des ministres. La préfectorale française compte aujourd'hui 40% de femmes, il y a donc bien une possibilité qu'une femme soit nommée, ce qui serait une première pour La Réunion. 


En attendant, Jérôme Filippini est dans la place et compte travailler à 200% jusqu'au bout, avec notamment une dernière réunion la semaine prochaine avec les acteurs du BTP, secteur en crise, juste avant de prendre l'avion. "La Réunion est mon île d'adoption, c'est un arrachement de quitter ce territoire" dit-il. "J'ai bien l'intention d'y revenir en vacances, sans la casquette de préfet. Et je suis très heureux d'aller en Corse, un territoire emblématique". Une partie de sa famille est originaire de Corse mais a quitté l'Ile de Beauté il y a une centaine d'années: "Je suis comme les Réunionnais, j'ai plusieurs origines, corse, italienne, pieds-noirs,.... Je suis déjà allé en Corse en visiteur, j'y vais désormais servir l'Etat comme je l'ai fait à La Réunion". 

Avantages et handicaps de La Réunion selon le Préfet

Dans un mini-bilan, le Préfet a évoqué "ce qui va bien et ce qui va moins bien" à La Réunion "qui dispose de beaucoup d'atouts qu'on a tendance parfois à oublier" dit-il.


Pour ce qui va bien, Jérôme Filippini a retenu "l'amour des Réunionnais pour leur île, ce qui n'est pas le cas partout, le très haut niveau des services et des infrastructures, ce qui témoigne d'une bonne utilisation des investissements publics, Etat et Europe. J'ai servi ailleurs et je n'ai pas constaté le même niveau".

Autres points forts de l'île selon le Préfet: "la capacité à se parler, à se construire ensemble, que ce soit entre acteurs économiques et sociaux ou entre les différentes religions. Quand des conflits s'enlisent, les parties concernées se parlent ici en préfecture, un lieu neutre, ce qui permet de désamorcer le problème et de trouver des solutions, comme par exemple pour Air Austral ou le BTP. 
Et puis j'ai constaté la force d'attraction de l'île, qui attire métropolitains, habitants de la zone Océan Indien, touristes et acteurs économiques". 


Pour ce qui est du "moins bien", Jérôme Filippini a évoqué "les difficultés sociales et économiques, la crise du logement, un défi énorme, le coût de la vie. Inutile de nous comparer avec la Martinique ou la Nouvelle Calédonie où le contexte général n'est absolument pas le même. La transparence sur la formation des prix est nécessaire et il faut aller encore plus loin. Et concernant les revenus des plus faibles, il s'agit de mettre en place une revalorisation". 

Autres sujets abordés: l'agriculture et l'environnement. "On produit beaucoup localement, c'est une bonne chose, la canne demeure un secteur-pivot que l'Europe soutient, il faut cependant préparer l'avenir et accélérer la diversification. Par ailleurs, dans le secteur de l'élevage péï, il y a trop de dissensions entre les acteurs qui devraient arrêter de se battre entre eux" regrette le Préfet.

"L'environnement est un domaine sur lequel tout un chacun doit travailler. L'élévation du niveau de la mer, le dérèglement climatique, l'arrivée de cyclones de plus en plus violents sont des sujets qui inquiètent". Jérôme Filippini s'est dit marqué par le passage du cyclone Bélal, où sa priorité a été de préserver les vies et les infrastructures: "Ce fut un phénomène très riche en enseignements avec notamment le déclenchement de l'alerte violette qui a fait l'objet d'un débat éthique entre les différentes parties concernées".

Par ailleurs, le représentant de l'Etat estime qu'"il faut travailler sur la façon de construire les bâtiments et maisons, la façon de consommer, le traitement des déchets. Pour tous les sujets dont je viens de parler, je confirme que le dialogue est primordial pour avancer".
 

C'est quoi "un bon préfet"?

La très grande majorité des Réunionnais a qualifié Jérôme Filippini de "bon préfet". Comment définir un "bon préfet?" lui a-ton demandé. "Je ne veux pas être populaire, je ne suis candidat à rien. Je reconnais qu'il y a eu une bonne accroche avec les Réunionnais, je me souviens qu'une semaine après mon arrivée en 2022, à la cathédrale de Saint-Denis, une dame a traversé tout l'édifice pour venir me dire des mots de bienvenue, ça m'a marqué.

Je me mets à la place des gens, je les respecte, je les aime, je reste simple et humble. A 55 ans, je suis un vieux con, mais je fais ce métier qu'on ne peut faire que si on est heureux. J'ai besoin de prendre du plaisir dans ce que je fais. Et quand on me sollicite, je préfère aller voir les personnes dans leur lieu professionnel plutôt qu'en préfecture. Etre sur le terrain est une obligation professionnelle pour moi..."

Une anecdote citée par le Préfet lors de cette rencontre presse: "Je suis allé aux Electropicales, je suis resté 1 heure et je suis parti car complètement submergé par l'odeur du cannabis, ce qui me permet de rajouter que les Réunionnais doivent aussi relever le défi contre la drogue sous toutes ses formes".


Dans sa valise, Jérôme Filippini ramène 200 livres, une belle photo de Salazie, et de la pâte piment. Mais surtout des souvenirs pleins la tête de ce séjour intense de 26 mois dans ce qui restera définitivement son "île de coeur". Il y a deux ans à son arrivée, le Préfet avait dit qu'il serait "un homme de communication", notamment avec la presse locale, on peut confirmer que le deal a été respecté. On lui souhaite le meilleur pour la suite.

Aziz Patel